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Monseigneur Stenger, m’a proposé de participer en 2020 à la Conférence des Evêques de France, qui était ciblée sur l’agriculture, l’opportunité gratifiante de regarder mon métier avec un autre regard en parcourant l’Encyclique « Laudato Si »
Nous sommes, avec mon mari Bertrand, agriculteurs à Polisy, 115 ha, des cultures, une partie en agriculture de conservation des sols, une partie en agriculture biologique, et toujours en pleine réflexions et adaptations.
Ce que j’aime dans l’agriculture ?
J’aime cette notion de non « totale maîtrise » du métier, c’est un peu comme l’éducation des enfants, l’idée d’orienter un système vivant qui a sa propre autonomie, ou comme la voile, réussir à canaliser une puissance qui nous dépasse.
Il y a aussi la nécessité de faire confiance à la nature : quand on me demande si les récoltes ont été bonnes, j’ai coutume à dire : nous n’avons pas fait d’erreur, donc la récolte est bonne. La climatologie (ou l’ami Théo), si elle a un impact sur ma récolte, je n’y peux rien (n’ayant pas d’irrigation). Nous sommes dépassés par ce qui nous entoure, jamais nous ne comprendrons la subtilité des cycles de la vie, nous l’observons mais nous ne la comprendrons pas. C’est notre plus grande résilience, faire confiance à la nature aux « lois internes »
Être agriculteur, c’est travailler avec du vivant.
Notre mission d’agriculteur
« cultiver et garder la terre » (Gn 2, 15) Nous avons vocation de produire, pour nourrir les hommes, tout en respectant la terre. « Alors que ‘‘cultiver’’ signifie labourer, défricher ou travailler, ‘‘garder’’ signifie protéger, sauvegarder, préserver, soigner, surveiller. Cela implique une relation de réciprocité responsable entre l’être humain et la nature. » (Laudato si 67)
Comment est faite la matière ?
Produire c’est à dire faire de la matière. Cette matière qui constituent tous les « êtres vivants » sur la terre : les plantes, les animaux, les hommes. La matière vivante n’est composée que de 4 éléments principaux (C H O N = Carbone Hydrogène Oxygène et N Azote) : nous ne sommes que « poussière ».
- Le Carbone vient du carbone de l’air, grâce à la photosynthèse des plantes (avec notre frère Soleil), il devient ensuite constituant des plantes,
- L’Azote vient de l’azote de l’air aussi, fixée dans le sol grâce aux bactéries du sol ou aux bactéries en symbiose avec les légumineuses, elle devient ensuite constituant des plantes. Pour que ce cycle commence, il faut un sol vivant avec ces fameuses bactéries et/ou des légumineuses cultivées. Il n’y a pas de création de matière sur terre sans un sol vivant , c’est le SEUL moyen de fixer l’azote de l’air (avec les bactéries des océans)
- Hydrogène et Oxygène, proviennent de l’air et l’eau qui vient du sol (grâce à notre sœur la pluie), ils deviennent ensuite constituant des plantes,
- Les minéraux viennent du sol
En conclusion, la création de matière, l’origine de la matière qui nous constitue tous et le cycle de la vie ne dépend que des plantes et de la vie du sol. Cette matière créée, se recyclera et retournera au sol, par les processus de décomposition (qui nécessitent encore un sol vivant), le « retour à la poussière» (Gn 3, 19).
En prime, carbone et azote dans le sol se combinent (processus physico-chimique) pour former de la matière organique, une matière éponge qui retient l’eau, les minéraux et qui stabilise les sols: « tout est lié ». C’est oublier ces mécanismes fondamentaux que de négliger le sol.
« Il nous coûte de reconnaître que le fonctionnement des écosystèmes naturels est exemplaire : les plantes synthétisent des substances qui alimentent les herbivores ; ceux-ci à leur tour alimentent les carnivores, qui fournissent d’importantes quantités de déchets organiques, lesquels donnent lieu à une nouvelle génération de végétaux. » (Laudato si 22)
Suite des réflexions sur le métier d’agriculteur et Laudato si. Nous sommes agriculteurs à Polisy, en agriculture de conservation des sols, c'est-à-dire une agriculture dont l’objectif est de compter sur la nature pour regagner en auto fertilité, s’appuyer sur un nouveau écosystème pour avoir moins de « maladies », tout en produisant.
Cette agriculture définie par la FAO comme solution pour nourrir le monde et préserver la planète se base sur 3 piliers : 1 le non travail du sol, 2 un sol toujours couvert par une culture… de rente (vendue) ou de couverture (restituée au sol) et 3 une diversité dans la rotation des cultures, le mélanges de cultures. Ainsi, sitôt la récolte faite nous semons une culture de couverture qui sera restituée au sol avant l’implantation de la nouvelle culture récoltée. Notre mission: « garder » la terre, Pour avoir un sol vivant il faut favoriser la biodiversité, c’est à dire offrir le gite et le couvert à la vie qui veut se développer.
- Nourrir le sol vivant : Apporter de la matière. En agriculture et spécifiquement en agriculture de conservation des sols, nous laissons au sol les résidus de culture comme la paille du blé, nous faisons des intercultures, des associations culturales avec des légumineuses. Nous semons des plantes que nous ne récolterons pas, mais qui vont fixer l’azote et le carbone de l’air pour restituer de la matière et nourrir la vie sous et sur le sol. Mais il faut du temps, beaucoup de temps pour restaurer l’autofertilité des sols, « la lenteur naturelle de l’évolution biologique » (Laudato'si18).
L’apport extérieur d’engrais a bien permis d’en finir avec les famines, mais il faut se focaliser sur l’importance d’avoir un sol vivant et d’utiliser des légumineuses. En plus, restaurer l’autofertilité des sols c’est augmenter leur taux de Matière Organique, c'est-à-dire fixer du carbone et stabiliser les sols.
- Protéger le sol vivant : Eviter les cataclysmes du travail du sol qui oxyde la matière organique, détruit la structure verticale naturelle du sol, perturbe une bonne partie des habitats et des habitants du sol, laisse le sol nu.
Le bourdon, infatigable butineur, niche dans les 5 premiers centimètres du sol, comme le carabe qui mange les limaces. Le ver de terre anécique, vit 8 ans, construit ses galeries une fois pour toute et ne pond que 8 cocons par an. Les exemples de vie du sol perturbée par le travail du sol sont nombreux. Le travail du sol est une stratégie de désherbage : Pour produire, il faut lutter contre les herbes qui concurrencent nos « cultures » Plusieurs stratégies humaines ont été développées depuis la nuit des temps: 1. L’huile de coude « À la sueur de ton visage tu mangeras ton pain» (Gn 3,19) 2. Le brûlis 3. L’inondation (rizières) 4 . Le labour 5. l’abondance de plantes compagnes (principe de la permaculture associée au désherbage manuel) 6. l’ herbicide (trouver celui le moins nocif au sol). En effet, il n’y a pas de solution « miracle », il faut adapter la meilleure solution à la situation tout en respectant le sol et l’humain
La monoculture est un déséquilibre, c’est comme un grenier qui attire les souris, c’’est comme un virus dans une foule, si une maladie apparaît ou un insecte découvre la manne, il se répand : soit on confine, soit on soigne… un traitement sur une culture (même en Bio) c’est une politique de gestion de population, pour éviter la crise. On doit faire confiance à la nature, encore une fois, mais il faut du temps pour que l’équilibre se mette en place et parfois il faut prévenir ou soigner pour éviter l’hécatombe.
- Copier la nature, en provoquant la biodiversité : Décider des plantes qui vont faire nos cultures, nos intercultures, associer les plantes, c’est comme peindre une œuvre, avec une multitude de couleurs à notre palette, une immense diversité de plantes, que nous pouvons associer, mélanger. On a une diversité de bienfaits spécifiques à chaque plante.
- S’adapter aux situations : Nourrir les hommes, demande parfois souplesse et adaptation, des « moindre mal » pour « garder la terre ».
Tous ces principes sont une révolution pour l’agriculteur, il faut du temps pour changer les pratiques, pour apprendre à faire confiance à la nature ; il faut donner ce temps, pour acquérir les techniques, garder des outils (herbicides, pesticides, engrais), obtenir de la reconnaissance des bienfaits et des risques de la transition, pour que le sol se mette à revivre « Cette responsabilité vis-à-vis d’une terre qui est à Dieu implique que l’être humain, doué d’intelligence, respecte les lois de la nature et les délicats équilibres entre les êtres de ce monde, parce que «lui commanda, eux furent créés, il les posa pour toujours et à jamais sous une loi qui jamais ne passera » (Ps 148, 5b-6). » (Laudato si 68)
Pour tous, tout agriculteur, que ce soit le Biologique, le conventionnel, l’agroforesterie On doit rester sur les mêmes grands principes : Produire et Respecter la vie du sol.